Hyperactif insaisissable, artiste éclectique, figure énigmatique à l’humour décalé, Maynard James Keenan s’est surtout illustré comme frontman dans les désormais cultes Tool et A Perfect Circle. Le projet Puscifer ne constitue pour lui en aucun cas une échappée ponctuelle en solo, mais bien un véritable média d’expression de toutes ses envies créatrices. Si son premier album studio, V is for Vagina, ne sort que fin 2007 (peu après l’EP Don’t Shoot the Messenger) l’entité Puscifer existe pourtant depuis plusieurs années. Apparue pour la première fois dans la série HBO Mr Show comme un groupe fictionnel, Maynard James Keenan l’a ensuite transformée en véritable projet musical, participant par exemple à la bande originale du film Underworld (2003), proposant morceaux originaux et remix. Le chanteur décrit Puscifer comme « un simple terrain de jeu pour les diverses voix dans ma tête, un espace sans objectif clair » et lui donne une véritable dimension multimédia (cinéma, télévision, internet, merchandising, etc.). De nombreux artistes y ont participé, comme par exemple Danny Lohner (Nine Inch Nails), Tim Alexander (Primus), Tim Commerford (Rage Against The Machine, Audioslave), Brad Wilk (Rage Against The Machine, Audioslave), Trey Gunn (King Crimson) ou encore Milla Jovovich, ce qui en illustre bien la diversité créative. La fin de A Perfect Circle avait vu Maynard déclarer que l’industrie musicale sous sa forme actuelle était en fin de vie. Tout aussi insaisissable que le chanteur lui-même, l’existence même de Puscifer semble illustrer ces dires.
La sortie du dernier Tool, 10000 Days, avait été l’occasion pour le groupe de parler de sa dynamique créative. De l’aveu de Maynard James Keenan lui-même, il s’était avéré que le frontman s’impliquait beaucoup moins dans le processus de composition depuis Lateralus, tout occupé qu’il était à moult autres projets. Mais même A Perfect Circle, communément considéré comme son projet parallèle, était surtout l’œuvre musical de Billy Howerdel. Il était donc légitime de se questionner sur l’identité musicale de Maynard aujourd’hui. Le premier album de son projet solo Puscifer, V is for Vagina, arrive à point nommé pour répondre à cette question.
Première surprise, l’artwork de l’album. Les ambiances sombres et ésotériques si chère à Tool ne sont ici plus qu’un souvenir, et Maynard coupe le cordon avec un graphisme coloré et cartoonesque au possible. Le packaging prend la forme d’un hilarant détournement de plaquette de sécurité aérienne. Mesdames et Messieurs, bienvenue à bord de Vagina Airlines : Mister Maynard et son équipage ont apparemment décidé de vous inviter à un voyage déroutant.
Une fois la ceinture attachée, la surprise semble cependant s’estomper, et nos esgourdes se rattrapent à des sonorités familières. Le disque s’ouvre sur une ambiance sombre et enfumée, et poursuit son chemin en empruntant bien souvent le même type d’emphase solennelle et mystique que Tool. Le jeu de guitare, tout en discrétion, se fait bruitiste et ambiant, et le tranchant de la basse fait planer l’ombre de Justin Chancellor. Le timbre si particulier de la voix de Maynard fait partie intégrante des textures soniques du groupe, et le rapprochement est a priori facile. Ce disque solo en est une preuve paradoxale : Tool reste une fondation essentielle de la créativité de Maynard, à laquelle il semble avoir du mal à échapper.
Toutefois, l’intéressé a l’air tout à fait conscient de tout cela, et semble même en jouer. Les premières turbulences du vol Vagina Airlines se font alors sentir. Car il suffit de gratter un peu par-delà les premières impressions pour constater que le deuxième effet KissKool arrive très rapidement. Le travail le plus flagrant est effectué sur la voix du chanteur. Utilisée comme un instrument à part entière, toujours modulable et flexible, incroyable vecteur d’émotion qui explore de nombreux styles et textures, développée sur d’innombrables couches sonores s’imbriquant parfaitement les unes dans les autres. En cela, V is for Vagina peut rappeler une démarche comme celle du Medùlla de Björk, et donne à la musique un aspect extrêmement organique et sensuel. Voir presque sexuel, comme l’illustrent littéralement les gémissements de Dozo. Maynard, contrairement à son registre dans Tool, s’aventure souvent dans des fréquences très basses, récitant ses textes à la manière de mantras, d’une voix vrombissante et profonde. Cela confère à l’album un côté chamanique prononcé (un terme très utilisé ces derniers temps, mais ici ô combien justifié), s’aventurant parfois dans des contrées tribales, d’autres fois dans un spiritualisme planant, toujours dans une démarche très viscérale et palpable.
Contrastant également avec l’aspect parfois « monolithique » de Tool, les influences revendiquées ici sont nombreuses. Elles ne prennent toutefois pas l’ascendant sur la musique, et interviennent par petites touches, que le peintre Keenan utilise avec parcimonie. Du break très 80s de Dozo à la balade folk revisitée de Momma Sed, des sonorités presque indus d’Indigo Children au clavier désaccordé et très cold wave de Drunk with Power en passant par la fin de Sour Grapes qui vire soudainement au pur gospel, Maynard diversifie sa musique, tout en gardant une grande cohésion. Ces influences font presque office de rares repères dans le flot personnel et déroutant de l’album, et permettent une certaine accessibilité, une porte d’entrée à l’intention de l’auditeur non forcément familier avec cet univers. Les compos restent dans l’ensemble efficaces, la rythmique carrée et groovy, donnant à V is for Vagina un côté presque catchy. Le chanteur prouve qu’il peut utiliser un format d’album et des structures de chansons « classiques », voire pop, tout en délivrant un travail d’une grande originalité, éloigné de toute étiquette.
S’il ne peut pas être accusé d’hermétisme, on pourra toutefois reprocher à Maynard de sembler constamment hésiter entre ces deux logiques, sans se décider pour l’une ou pour l’autre. L’album oscille entre chansons « accessibles » et morceaux où le chanteur donne davantage libre cours à ses expérimentations, et il est difficile de déterminer jusqu’à quel point il a désiré rallier un nouveau public à sa démarche. Une impression de retenue se met alors à planer. On pourra ainsi regretter que le chanteur, connu pour sa folie créatrice décalée, n’ait pas plus lâché la bride, et il en découle une certaine frustration. Car au bout de plusieurs écoutes, il devient évident que la démarche et l’identité si particulières de l’album auraient pu être poussées plus loin si la cloison du grand public avait été abattue. En l’état, il demeure « seulement » un bon album. Mais peut être faut-il considérer V is for Vagina comme un simple acte fondateur, précédant le véritable développement de l’entité Puscifer.
L’album découvre pourtant ses mille teintes de clair obscur avec une grande fluidité, et se clôt sur Rev. 22:20, chanson déjà présente sur l’excellente bande originale du film Underworld, réorchestrée pour l’occasion. Intitulée non sans humour « Dry Martini Mix », elle n’aurait effectivement pas dépareillé chez James Bond. Maynard n’est pas étranger à ce procédé, et avait déjà magistralement détourné le Bring Me The Disco King de David Bowie, montrant qu’avec un même matériau de base il est possible de créer une infinité de facettes différentes. Terminant V is For Vagina sur cette touche jazzy, le chanteur illustre ainsi l’adage selon lequel rien ne se crée, rien ne se perd, mais tout se transforme. Et avec quelle classe !
Dans l'album V is for Virginia, j'ai cru que c'était du HIM pis du Manson, au final, j'aime beaucoup J'écoute en boucle