Un peu de culture et un peu d'art, autour du sujet de l'au-delà,
Bonne lecture !
I L'irrationnel aux XVIIIe et XIXe sièclesAu temps du siècle des lumières, à travers l'Europe, de nombreuses spiritualités alternatives et marginales renaissent : astrologie, Kabbale, théosophie... Leur pratique appelle à des entités nouvelles ou réveille des divinités oubliées; elle laisse à penser qu'une prise de contact direct avec le monde surnaturel est possible. L'exploration de l'invisible, le dialogue avec les morts, et l'initiation aux grands mystères font ainsi l'objet, tout au long du XIXe siècle d'expériences scientifiques et para-scientifiques.
L'occulte envahit la poésie, la peinture et la photographie. Les artistes ouvraient-ils les portes de l'au-delà à la concrétisation de visions ? Leurs oeuvres sont souvent des illustrations de fantasmagories romantiques.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]WILLIAM BLAKE :
Frontispice de l'Europe, une prophétie, 1794
En Angleterre, la mode du gothique surgit, où l'occulte a une place fondamentale. C'est ce qu'illustre les parcours de Heinrich Füssli et de William Blake (auteur de l'image du dessus). Cet écrivain, peintre et graveur anglais fut pauvre toute sa vie et très peu exposé. Blake parle fréquemment de visions, et a souvent été considéré comme un médium, notamment par le Nobel de la littérature irlandaise William Yeats. Blake dessina le guide visible de lui seul qui dictait ses créations : chose troublante. Son sourire, énigmatique et ambigu, fait froid dans le dos.
Par ailleurs, la Révolution Française n'a pas fait tomber que la tête du roi, elle engendre aussi la chute de Dieu.
Le christianisme ne disparaît pas, mais se trouve ébranlé, avalé par des idoles nouvelles : le Progrès, le matérialisme, le droit au bonheur terrestre... Face à ce désenchantement, à ce monde réduit à sa seule dimension profane, l'artiste se propose de jouer les réechanteurs pour éviter la désespérance. Des dessinateurs médiumniques comme Victorien Sardou (non, non, c'est pas le bon vieux Michel,
) ou Fernand Desmoulins (si vous connaissez, tant mieux, moi je connais aucun des deux,
) griffonnent sous l'influence des esprits qui les visitent. Mais le meilleur à venir : la génération des symbolistes en France, et en Belgique poursuit cette fusion des croyances en une sorte de grand mystère universel. Mieux : elle fusionne pratiques artistiques et religion.
L'artiste polonais Biegas dessine le palais de la reine des sirènes dans un style symptomatique du mysticisme. Partout une atmosphère sombre et inquiétante, irradiés par des personnages lumineux, comme des révélations dans le monde noir de l'occulte.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]BOLESLAS BIEGAS :
Palais de la reine des sirènesLe phénomène est tel que les progrès techniques eux-mêmes sont annexés par l'occulte : l'usage de la photographie en constitue l'exemple édifiant. On prête à cet outil des pouvoirs magiques : photographie d'esprits par exemple. On allait pouvoir divulguer ce que l'oeil humain ne peut pas saisir. Aussitôt, d'habiles charlatans jouèrent de la qualité des tirages, usèrent de surimpressions pour faire croire à d'extraordinaires apparitions. Mais à chaque fois que le trucage était démontré, scandales et procès s'ensuivaient : on ne plaisante pas avec l'au-delà.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]EUGENE THIEBAULT, photographie publicitaire, Henri Robin et un spectre, 1863
II L'abstraction, une expérience mystiqueOcculte et abstraction, même combat ? << Un intérêt général pour l'abstraction renaît, parallèlement à une attirance superficielle vers le spirituel composé d'occultisme, de spiritualisme, de monisme, de la nouvelle chrétienté, de la théosophie, et de la religion dans le sens le plus large du terme>> dit Kandisky au XXe siècle.
Les artistes Malevitch et Matiouchine (auteur de l'image ci-dessous) sont fascinés par les écrits de Ouspensky, sa vision de quatrième dimension et son hypothèse selon laquelle les artistes auraient la capacité de dépasser les apparences et de découvrir ce que d'autres ne peuvent voir. De plus, les dernières découvertes scientifiques (comme la décomposition de l'atome qui fait douter du caractère immuable de l'objet) légitiment la pensée occulte et la croyance en l'existence de réalités cachées agissant sur le psychisme humain.
L'abstraction semble être une révolution dans l'art pictural, la traduction artistique des manifestations invisibles de la réalité.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]MICKHAÏL MATIOUCHINE
Ainsi, face à la difficulté que constitue l'abandon de la représentation, les peintres font appel à un vocabulaire mystique, où le terme de révélation revient souvent.
Kandinsky est aussi l'un des premiers peintres à réaliser une toile carrément non figurative. Il a cherché à créer un langage purement pictural pour exprimer des émotions avec les formes et les couleurs, c'est-à-dire faire en peinture ce que l'on a toujours su faire en musique.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]KANDINSKY : Yellow Red Blue
III Les sociétés secrètes dans l'art contemporainDes surréalistes à la nouvelle garde du XXIe siècle et des artistes continuent de se nourrir des forces de l'ombre et de regarder la réalité dans sa face obscure. Société secrète, le clan de Breton l'était à sa manière : rituels, initiés, flashs d'illumination. Comme l'écrit Aragon, lors de leurs soirées très fermées, les surréalistes découvrent "ce pouvoir qu'ils ne soupçonnaient pas". Les séances de sommeil collectif ne leur permettent pas tout à fait congédier leur conscience mais porter vers des plans nouveaux qu'évoquaient Max Ernst. Vers 1922, chez Breton, l'hypnose se fait invitée d'honneur. Desnos en est le plus ardent cobaye. Dans son sommeil, il parle, dessine et écrit. Certains, dans ces exercices, frôlent l'abîme. Ils useront dès lors de coutumes moins dangereuses, invitant voyantes et magiciennes à servir de muses à leur combat pour une vie nouvelle.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]MAX ERNST : réunion des surréalistes
Aujourd'hui, la société laisse à nouveau sourdre quelques voies discordantes. L'hypnose est l'une d'elles, dont nombre d'acteurs s'emparent. A la lisière du théâtre et des arts plastiques, Joris Lacoste met sous hypnose les visiteurs d'une des expositions, les incitant à incarner un animal avant de nous livrer un récit sidérant sur leur métamorphose. Plus récemment, au théâtre de Gennevilliers, le dramaturge a tenté de transporter une salle entière dans un état second, invitant chacun à projeter ses propres images sur le récit de l'acteur endormeur.
Magiciens, fantômes, esprits en tout genre : s'ils font leur grand come-back dans l'art aujourd'hui, c'est bien pour participer de ce bouleversement de l'histoire de l'art, de sa violente réécriture.
Ainsi, Guillaume Désanges ne craint pas de briser un tabou en faisant une relecture complète lors d'une conférence du siècle de Duchamp, décriptant les signes du minimalisme comme autant de kabbales, et le triangle au fond de l'urinoir de Duchamp comme l'indice d'une mystique secrète.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]AUGUSTIN LESAGE : l'Esprit de la pyramide
Les affolantes toiles de cette figure majeure de l'art brut lui étaient dictées par les esprits, notamment celui de sa soeur, disparue quand il avait 7 ans. Elles ont joué un rôle fondamental dans la curiosité d'André Breton pour les peintres médiumniques.