The Running Fence - Christo et Jeanne-Claude - 1976
Cette œuvre de Christo et Jeanne-Claude nommée "The Running Fence" est une longue ligne - qui a nécessité l'utilisation de 2050 bâches de nylon blanc, de 2050 pylônes, de 14 000encres d'amarrage, 140 m de filins et de 350 000 crochets suspendus à des câbles d'acier - traversant le paysage comme une sorte de muraille.
Cette barrière mesure 38,5 km de long et 5,5m de hauteur.
La clôture débute près de la U.S. Route 101 et traverse 14 routes et les propriétés de 59 ranchs afin d'atteindre l'océan Pacifique près de la baie de Bodega. Elle serait inspirée en partie par les clôtures démarquant le Continental Divide au Colorado.
C'est une œuvre éphémère et in situ, qui a été démontée 14 jours plus tard. Après cela, Christo a redistribué le matériel aux propriétés traversées.
Pendant les quatre ans précédent la réalisation de son œuvre sur le terrain en 1976, Christo a passé des accords et s'est renseigné pour que son travail ne perturbe pas la vie des gens, ou même des animaux.
Il a en effet calculé le bon moment et réfléchi pour trouver un moyen de laisser passer voitures, bétail et animaux sauvages.
Cette oeuvres aux dimensions gigantesques établi un lien réel avec la nature dans la mesure où l’œuvre est le paysage lui-même.
Celle-ci est en effet construite en suivant parfaitement la topologie du lieu, elle devient une extension du terrain, en le rendant visible.
Elle a également une symbolique forte d'un point de vue social: l’œuvre traverses nombre de propriétés, donc scinde le paysage en deux, "coupant" le passage de l'industrialisation; mais laisse passer la vie - hommes (par les voitures) et animaux - et laisse donc passer la nature.
Qui plus est, l'artiste le dit lui-même, cette œuvre fait réagir tous les milieux sociaux, elle suscite un questionnement généralisé.
En scindant l'espace en deux, il unifie nature et urbanisme ainsi que les différent milieux sociaux.
On peut remarquer également, par le nom même de l’œuvre: The Running Fence, qui signifie "barrière qui cours", ce nom soulignant bien l'effet les deux aspect de séparation et de mouvement, l'effet ondulatoire de cette structure. De même il souligne la grandeur de l’œuvre - le mot "running" impliquant une notion d'action dans la durée, car cette muraille parcours plusieurs kilomètres de long, tout en suivant presque parfaitement les courbes de ce paysage - ce que l'on peut facilement voir sur la photo postée.
Enfin ce même titre nous ramène au caractère éphémère de cette installation. Si la conjugaison du mot "run" dans le titre donne une impression de durée, ce même mot évoque la rapidité, l'instantanéité.
Cette installation éphémère est réalisée In Situ, on ne peut la placer dans un musée. Le support est la nature, le paysage, il y a donc interaction entre le travail et la nature.
On peut donc inscrire cette œuvre dans le mouvement Land Art, qui signifie travailler dans et avec la nature.
Seulement, les matériaux utilisés ne sont pas trouvés dans la nature mais manufacturés.
Ce détail appuie le fait que cette œuvre est une barrière, un objet ayant pour fonction de diviser, une barrière empêchant le passage de l'industrie par des matériaux issus de l'industrie.
Cette œuvre s'inscrit dans une époque où le rapport de l'art et de la nature commence à être développé en profondeur. Christo et Jeanna-Claude sont par ailleurs parmis les pionniers du Land Art.
Ils amènent une problématique nouvelle qui porte sur les scissions sociales de l'époque.
Rappelons-le, l’œuvre est installée en 1976. Historiquement, on est encore en pleine Guerre Froide, et l'économie américaine est très faible.
Les déséquilibres sociaux sont nombreux.
En 1976, les États-Unis voient en outre de nouvelles technologies débarquer, et donc une nouvelle industrie qui se profile, à un niveau mondial.
L’œuvre a été installé en octobre 1976, or - les geeks le savent - c'est en avril de cette année que Steve Jobbs a fondé Apple; or Apple est en quelque sorte un symbole de l'industrie à l'échelle mondiale.
Pour ce qui est du rapport avec la volonté du Land Art de "faire sortir l'art des musées", The Running Fence pose la problématique de la valeur de l'art.
Cette œuvre n'a pas de valeur en elle-même - pas de valeur marchande, elle n'a jamais été vendue, ni commercialisée en tant que telle.
Seules subsistent les quelques photographies et vidéos.
Qui plus est les artistes n'en ont tiré aucune rémunération, si je puis dire, puisque les matériaux ont ensuite été donnés au propriétaire qui ont vu leurs terrains traversés par la clôture.
Christo et Jeanne-Claude mettent par là en lumière ces inégalités, en créant une frontière matérielle, qui met en évidence les oppositions entre monde rural/monde urbain, art commercial/ art libéré, industrie/nature (et par extension: la simplicité de la vie sans les grandes industries), valeur marchande / valeur artistique dans tout ce qu'elle a de plus pur.